Aux jeux froids d'Esther, Narcisse préférait les goûters sur l'herbe et les escapades hasardeuses dans le jardin.
Narcisse aimait s'aventurer hors de la maison, au milieu des herbes hautes et l'odeur de terre mouillée. C'étaient pour elle de fascinants voyages de découverte à la recherche de fourmilières, de contemplation de vers de terre, ou de courses folles à travers le vaste verger.
Elle passait surtout de longues heures autour du marais à observer les grenouilles, qui l'amusaient beaucoup. Quelquefois, elle leur jetait des fruits confits qu'elle avait volés en cuisine (persuadée que les batraciens aimait eux aussi les sucreries). Elle regardait ainsi tendrement les bonbons s'enfoncer dans l'eau visqueuse et les grenouilles effrayées s'enfuir au contact d'un corps étranger. Une de ses joies était de parvenir à en attraper une, et la garder quelques minutes au creux de sa main. Elle aimait leur contact humide et froid, sentir les battements de l'animal et ses petites pattes palmées s'accrocher à sa paume. Elle en glissait parfois une dans sa poche, puis reprenait ses jeux solitaires jusqu'à la tombée du soir.
Bien souvent, Narcisse se faisait gronder à son retour, car elle avait taché sa robe, ou était arrivée en retard pour le dîner. On la punissait, la menaçant de l'enfermer dans sa chambre si elle continuait de ramener à la maison ses affreux animaux.
Mais qu'importe, Narcisse s'éclipsait le lendemain, et les fruits confits continuaient à devenir invisibles.