L'Amoureuse

Esther se contemplait dans le miroir de la salle d’eau. Seule au milieu de la pièce, elle était munie d’une paire de ciseaux d’argent dont les reflets étincelants faisaient jaillir de petits jeux de lumière le long du mur. Sans ciller, elle coupa une lourde mèche de ses cheveux. Les petits ciseaux cristallins firent un léger bruit de dents grinçantes. Elle poussa une petite exclamation, puis continua, presque amusée, jusqu’à raccourcir considérablement sa chevelure. Elle lança la gerbe blonde sur le carrelage en mosaïque, puis alla à la rencontre de son nouveau double. Lissant un de ses bandeaux entre ses doigts fins, elle se retourna, s’observa d’un œil d’entomologiste en poussant des soupirs renfrognés. Absorbée dans son étude, elle n’entendit pas Narcisse pénétrer le seuil de la porte.

- Bête ! Tu m’as fait peur ! siffla-t-elle en boudant.

Esther tendit froidement la joue à Narcisse qui l’embrassa comme un enfant croque un fruit mûr.

- Viens-tu pour le goûter ? Renée nous a préparées du sorbet – oh ! mais tu as coupé tes beaux cheveux ! Quelle drôle d’idée… Mais enfin, viens-tu ?

- Non, merci, merci, ma petite Narcisse, je n’ai pas faim, vraiment…

Narcisse fit la moue et fronça légèrement les sourcils, dubitative.

- Dis-moi, serait-ce une nouvelle tenue ? dit Narcisse en tournant autour de la petite fille. « Oh mais, quelle toilette ! Tu es belle comme tout ! » Et lui tirant sa robe gentiment : « Tu es bien jolie, et comme tes cheveux sont soyeux… Les miens sont affreux, comme j’aimerais être aussi aimable que toi ! »

Esther se plaça à côté d’elle et lui prit la taille :

- Oui, mais tiens, vois-tu que tu es plus grande que moi.

Et la tenant toujours enlacée, elle l’entraîna devant la glace, se serra contre elle, et chercha son épaule avec la sienne.

- Tiens !

- Tu as raison, souffla Narcisse avec un sourire.

Esther continuait son observation, s’attardant à présent sur ses jambes.

- Mes genoux sont assez jolis…

Narcisse, qui commençait à s’impatienter, posa son regard sur une boîte vermeil laissée posée contre le lavabo de marbre.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en tendant une main vers le couvercle.

- Ah non ! Va-t’en maintenant, tu m’ennuies ! se renfrogna Esther. Laisse-moi tranquille, je voudrais être sérieuse et tu me distrais. Va-t’en, va-t’en, et je te défends de rapporter, m’entends-tu ?

Abasourdie, Narcisse recula sans un mot, et détala hors de la pièce.

Esther se retourna alors vers la boîte et lui lança un regard plein de tendresse. Elle la prit entre ses mains d’un geste lent et l’ouvrit délicatement. S’assurant que Narcisse avait bien quitté les lieux, elle s’assit sur le carrelage froid de la salle d’eau pour mieux contempler son trésor.
Déposé sur un coussin de soie rose, un noyau de pêche y reposait comme dans un écrin précieux. Esther serrait la boîte contre elle amoureusement : comme il avait été difficile de ramasser ce noyau dans l’assiette où il avait mangé ! Et tout cela sans se faire remarquer… Elle se remémorait ces instants avec plaisir à présent, mais cela avait été bien compliqué. Un plan minutieux digne des plus glorieux chevaliers avait été requis, et elle n’en était pas peu fière. Alors Esther sourit, s’étendit sur le sol glacial, et se serra davantage contre la boîte en lui murmurant des mots imperceptibles.

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